Rousset entre Venise et Naples, entretien de Nicolas Blanmont
Nicolas Blanmont: Pourquoi ce choix de La Didone?
Christophe Rousset: Pour le livret de Busenello, d'abord, qui est d'une très grande qualité poétique. Pour ce mélange des genres typique de l'opéra vénitien, ensuite: il y a ici tour à tour des éléments comiques, des interventions divines, de grandes figures tragiques comme Cassandre et Hécube, des scènes épiques, et en plus une dimension familiale qui donnent un côté très humain
Après Mitridate de Mozart l'an dernier, vous publiez l'enregistrement d'un opéra presque contemporain: l'Antigona de Tommaso Traetta.
Cette Antigona avait été enregistrée dès 1997 dans la foulée de concerts donnés au festival de Beaune, et j'aurais aimé qu'elle sorte plus tôt, mais je n'ai aucun pouvoir à cet égard, ce sont les gens du marketing qui décident. Cela dit, c'est une oeuvre qui, plus que Mitridate, ouvre des voies nouvelles: elle va vers quelque chose de plus expressif, et se nourrit d'acquis qui sont non seulement ceux de la tradition napolitaine mais aussi ceux de la tragédie lyrique française. Je reprendrai l'oeuvre au Châtelet et à Montpellier en 2004, et j'espère que ce disque contribuera à la faire entrer durablement au répertoire: elle le mérite.
En l'entendant, on pense plus d'une fois à Gluck, et notamment à ses Iphigénie.
Gluck et Traetta se connaissaient bien. Ils étaient tous les deux francs-maçons, mais aussi amants de la même cantatrice, cette Gabrieli qui créa d'ailleurs le rôle d'Antigone. Il y a toutefois quelque chose de moins aisé dans la musique de Gluck, autodidacte qui n'avait pas de véritable génie mélodique; chez Traetta par contre, doté d'une très solide instruction musicale, on sent ce génie, mais aussi un sens polyphonique prodigieux dans les choeurs, et en plus une virtuosité d'écriture qui fait plaisir. Les deux compositeurs suivent des voies parallèles: Gluck est peut-être plus radical, alors que Traetta cherche plus à donner du plaisir.
Quelle est la spécificité napolitaine de cet opéra créé à Saint-Petersbourg?
Cette virtuosité et ce plaisir, justement. Le recours aussi à une forme retravaillée du da capo traditionnel: retravaillée, parce que l'élément revient dans une forme raccourcie, souvent avec un autre texte et en débouchant sur un choeur ou un duo. Le tout donne une dynamique extraordinaire à l'oeuvre. Mais la patte de Catherine II se marque dans la durée de l'oeuvre: elle ne supportait pas plus de deux heures de musique, et l'imposait dans ses cahiers de charges.
Il y a quelques années, vous vous définissiez comme un chef par hasard. Vous assumez-vous pleinement comme tel aujourd'hui, ou le clavecin est-il toujours votre base?
Il est vrai que je suis arrivé à la direction par une suite de hasards, mais je ne pourrais plus m'en passer aujourd'hui. C'est un véritable cadeau de travailler avec les voix, et elles sont comme un fruit défendu: une fois qu'on y a goûté, on ne peut plus s'en passer. Cela dit, j'essaie encore de ménager du temps pour le clavecin: j'ai trois récitals prévus.
De Traetta encore, Ippolito e Aricia, adaptation de la tragédie lyrique de Rameau, que je dirigerai à Montpellier.
Et, en mars, une version scénique de la Passion selon Saint-Jean de Bach à Turin, avec notamment José Van Dam dans le rôle du Christ. Le projet peut sembler surprenant, mais je l'ai immédiatement accepté car on ne me propose que trop rarement du Bach, cela ne correspond pas à l'étiquette qu'on me colle. Pourtant, un claveciniste fréquente Bach presque tous les jours, mais Philippe Herreweghe avait été le seul jusqu'ici à me proposer d'en diriger.
Nicolas Blanmont, La Libre Belgique
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