Thèbes et variations
On devait à Christophe Rousset la renaissance de cette Antigona de Tommaso Traetta au concert, à Beaune, et au disque, avec déjà Maria Bayo. A la tête de ses Talens Lyriques, il en dirige à présent une production scénique qui n'est pas de tout repos. On ne sait à quoi attribuer la méforme de l'orchestre, passagère, heureusement, mais elle compromet gravement la première partie du spectacle. Vocalement, aucun déshonneur. Les deux ténors, John McVeigh (Adraste) et Kobie Van Rensburg (Creonte) assurent honnêtement, sans grand relief pour le premier, avec plus d'engagement pour le second. Pas tout à fait à l'aise dans la tessiture d'Emone, Laura Polverelli n'en est pas moins émouvante. Le chant soigné et délicat de Marina Comparato (Ismene), sa féminité charmante l'aident à cerner son personnage. La probité de Maria Baya, qui n'esquive aucune difficulté, sa musicalité - en dépit de quelques incertitudes dans l'intonation et les vocalises - sont hautement respectables ; est-elle vraiment une tragédienne ? Une chose est sûre : depuis leur enregistrement, le chef et sa principale soliste ont approfondi leur vision d'un ouvrage dont l'intérêt historique est indéniable, tant il a contribué à sortir l'opéra de l'ornière seria pour rechercher, à travers la vraisemblance théâtrale, la vérité des sentiments. Gardons le meilleur pour la fin : la mise en scène d'Eric Vigner et les décors de l'atelier M/M. Place à la laideur et au comique involontaire, à une cérémonie de crémation transformée en succursale du Gymnase Club, à des costumes (Paul Quenson) d'inspiration Courrèges années soixante, à des rideaux de scène hallucinants. Et, comme il se doit, Etéocle et Polynice ressuscitent rapidement, et Antigone, à laquelle Créon pardonne, meurt, alors que musique et livret disent expressément le contraire. Le tout franchement hué par un public qui conserve sa sympathie pour les musiciens et les chanteurs. Un détail important : ceux qui se demandent ce que fait, à droite, sur le rideau, le tronçon de sexe masculin émettant une goutte de semence, apprendront de M. Vigner qu'il s'agit d'une allusion au cabinet érotique et secret de l'impératrice Catherine II, qui, on le sait, n'avait froid ni aux yeux ni ailleurs (Antigona a été créée à la cour de Saint-Pétersbourg en 1772). C'est quand même beau, la culture !
Diapason - mai 2004
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